Abderrahmane Lahlou, expert en éducation: «Ce qui est mauvais dans cette expérience, c'est que la sélection s'opère sur la base d'un critère qui n'est pas intellectuel, mais linguistique» 
Avec le baccalauréat international, couvrant désormais le français, l'anglais et l'espagnol, l'offre éducative s'élargit. Sauf que le projet, dont l'accès est réservé aux meilleurs en langues, n'apporte pas de changements majeurs. Si ce n'est de mettre l'accent sur l'enseignement des langues étrangères. S'agit-il d'une énième initiative risquant d'aggraver l'éclatement du système d'enseignement et de porter un coup à l'image du baccalauréat marocain? C'est ce que pensent certains observateurs. Décryptage avec l'expert Abderrahmane Lahlou.
- L'Economiste: Le baccalauréat international, est-ce pour vous une expérience risquée?
- Abderrahmane Lahlou: Dans beaucoup d'expériences internationales auxquelles je crois, les viviers d'excellence ont fait leurs preuves. Les élèves n'ont pas tous les mêmes compétences innées, ni les mêmes motivations. Il est dommage de laisser les plus brillants baigner dans un milieu qui tend à niveler par le bas. D'où l'idée des lycées d'excellence qui peuvent faire en sorte que les meilleurs aillent beaucoup plus loin pour devenir l'élite intellectuelle du pays. Ce n'est pas de l'exclusion pour les autres, il s'agit simplement de permettre à chacun d'aller au rythme des moyens qu'il se donne.
Ce qui est mauvais dans l'expérience menée actuellement, c'est cette distinction qui s'opère sur la base d'un critère qui n'est pas intellectuel, mais linguistique. Et c'est un choix politique de l'Education nationale pas tout à fait honnête. Le risque est que dans quelques années l'on commence à dire que c'est parce que l'enseignement a été dispensé avec une langue particulière que les élèves sont devenus bons. A quoi rime finalement que les moins bons continuent à recevoir des enseignements en langue arabe et que les meilleurs les reçoivent en langue française?
- L'expérience des lycées de l'excellence a déjà été menée il y a quelques années, mais elle a été stoppée net par le ministre Mohamed El Ouafa. Etait-ce une erreur?
- C'était une bêtise monumentale que d'arrêter les lycées de l'excellence lancés à Rabat (lycée My Youssef), Casablanca (My Abdellah) et Fès (My Driss). On continuait à enseigner de la même manière, mais on prenait les meilleurs en vue de leur permettre d'aller plus loin. Dans tous les pays du monde, 2% de la population scolarisée permet véritablement de tirer la locomotive. Ce n'est pas une tare. Le ministre s'était défendu à l'époque en disant que tous les enfants des marocains ont droit à la même chose. Or, il ne s'agit pas là de droit, mais des moyens que chacun se donne pour réussir. Certains travaillent fort, sont motivés et il faut les accompagner.
- Le baccalauréat est-il aujourd'hui dévalorisé?
- En 2010, il s'est passé un phénomène un peu mystérieux, avec un saut subit et surprenant du taux de réussite au baccalauréat national. Rien à l'écran ne montrait de changement dans la méthode d'évaluation, les programmes, les moyens mis à la disposition des élèves par le plan d'urgence, ou encore de recrutements supplémentaires d'enseignants. Entre 2009 et 2011, rien ne s'est passé. Ça me laisse penser, et je ne suis pas le seul, qu'il y a eu une instruction informelle pour avoir plus de bacheliers. Le but étant de se rapprocher des standards des pays émergents, où le taux d'inscription dans l'enseignement supérieur est beaucoup plus élevé que chez nous.
Dans ces pays, le taux se situe entre 40% et 50%, alors qu'il n'était que de 13% au Maroc. Avec ce bond, nous sommes passés à 17%. Cette année, nous avons certainement atteint 19%. Politiquement, vis-à-vis de la Banque mondiale et de l'Unesco, nous sommes bons. Mais nous avons permis le passage d'élèves de faible niveau porteurs d'un baccalauréat dévalorisé.
- Que pensez-vous du baccalauréat professionnel lancé cette année?
- Le cycle professionnel au lycée était très attendu. Il existait avant dans des lycées très particuliers, comme celui d'Al Khawarizmi à Casablanca, mais il était dépourvu de moyens et d'intérêt, donc complètement oublié. Le pays a besoin d'orienter certains collégiens, dépassés par les études générales trop abstraites, vers des disciplines plus manuelles. Ces élèves peuvent exceller dans leur domaine. Ils ont la possibilité de revenir à l'enseignement général supérieur pour un diplôme professionnalisant. Comme ils peuvent opter pour la formation professionnelle, voire même se diriger vers le marché de l'emploi. Des pays comme l'Allemagne, la Suisse et la Corée y ont excellé. Néanmoins, il faut que le système économique joue le jeu. Un bachelier professionnel devrait recevoir un salaire décent. Sans cela, la formation professionnelle restera bancale.
«Usurpation d'identité»
«En quoi le BIOF (baccalauréat international option français), par exemple, est-il international? Uniquement parce qu'il recourt à une langue opérationnelle au Maroc pour véhiculer des enseignements? C'est dénué de sens», estime Abderrahmane Lahlou. «C'est une sorte d'usurpation d'identité, car il existe un vrai bac international lancé en 1960 dans le giron de l'Unesco, par une ONG indépendante», poursuit-il. Le cursus qu'il propose a été conçu par une équipe d'ingénieurs pédagogiques, inspecteurs et experts issus de plusieurs pays. Le diplôme, reconnu par 110 Etats, couvre près d'un million d'élèves. Le Maroc ne l'a jamais reconnu, parce qu'il n'est rattaché à aucun pays.
Propos recueillis par
 : Ahlam NAZIH

Publié dans L'Economiste le 08 - 10 - 2014

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