Introduction
1De nombreuses recherches portent sur le stress professionnel chez les adultes (stress des infirmières, des pilotes, des cadres, des ouvriers travaillant à la chaîne, des enseignants...) (Rivolier, 1989) et les travaux se multiplient permettant de mieux comprendre et d’analyser les liens entre vie professionnelle, vie familiale et stress chez les adultes. Très peu de recherches en France portent leur intérêt sur le stress des enfants et des adolescents dans leurs cadres institutionnels d’apprentissage : la maternelle, l’école, le collège et le lycée (Esparbès-Pistre & Bergonnier-Dupuy, 2002 ; Tap et al., 1997, 1999a, 1999b, 2002). Ces différents cadres sont pourtant à la fois lieu de socialisation, de personnalisation et d’intégration mais aussi de moquerie, de violence et de marginalisation, donc sources de difficultés et de stress à différents niveaux.
2Notre recherche porte ici sur une population de collégiens et de lycéens âgés de 12 à 20 ans. Elle consiste à étudier l’orientation scolaire et/ou professionnelle comme source potentielle de stress. Nous étudions les effets psychologiques de la situation d’orientation scolaire (choix de filières, projet professionnel) auprès des collégiens et des lycéens intégrés dans un cursus d’enseignement général (de la classe de cinquième à la classe de terminale). Dans ce cadre, nous portons notre intérêt sur le stress vécu par ces jeunes face à un choix d’orientation plus ou moins « exigé » mais nécessaire selon la classe et le niveau de performances scolaires.
1. L’orientation scolaire et/ou professionnelle : entre choix et exigences
3Le projet (d’orientation d’abord) permet à l’adolescent d’effectuer le passage du monde scolaire de l’enfance (sa réalité quotidienne) au monde du travail des adultes (imaginé et représenté par lui) en explorant de nouveaux rapports entre le possible et le réel (Piaget & Inhelder, 1965). Entre désirs, souhaits, aspirations mais aussi exigences et contraintes, voire obligations, il va devoir faire des choix.
4Projet d’orientation scolaire, projet professionnel et projet de vie constituent les trois perspectives à la fois autonomes et imbriquées les unes aux autres. Le projet obéit bien souvent à une « injonction paradoxale », l’adolescent se trouve pris entre l’environnement (social et familial) qui le pousse à chercher ce qu’il veut faire plus tard, à « se doter d’un projet », et les contraintes personnelles, familiales ou sociales qui l’empêchent de réaliser ses projets (Boutinet, 1990, pp. 91-92).
1.1. L’orientation par la sélection
5L’école a trois fonctions : celles de production (transmission des savoirs), de sélection (tris, classements, choix de filières) et d’intégration (Dubet, 1991). La sélection et la menace de l’échec pèsent sur l’ensemble du parcours scolaire. « Plus d’un élève sur deux a des chances d’échouer à un moment donné ou de se sentir orienté vers une filière qu’il n’a pas vraiment choisie. La sélection domine donc l’expérience scolaire » (Boutinet, 1990, p. 201).
6Dans la logique du projet, pour l’institution scolaire, ce n’est pas tant l’image d’un métier qu’il importe d’avoir, mais les capacités, les possibilités, la réussite scolaire. « Selon sa personnalité et son environnement, l’adolescent va s’orienter vers une profession en accord avec la perception de ses propres capacités et en fonction du fait que le statut social particulier lui permet de satisfaire son degré personnel d’estime de soi » (Lacoste & Tap, 2004). Le processus d’orientation scolaire semble aller à reculons et procèderait davantage par exclusions successives d’éventualités ; les élèves de cinquième ont un projet plus déterminé que ceux de troisième dont le projet serait lui-même plus précis que ceux de terminale (Boutinet, 1980a, 1980b).
7Il apparaîtrait que plus les performances scolaires sont importantes, plus les possibilités d’orientation sont grandes. Le projet pourrait donc s’en trouver moins affirmé et moins précis.
8Ainsi, paradoxalement, le projet professionnel apparaît assez précis chez les élèves plus jeunes ou qui réussissent moins bien à l’école ou suivent des filières de formation peu valorisées. En revanche ceux qui réussissent leurs études ont souvent un projet professionnel flou ou n’ont pas de projet (Boutinet, 1990), comme s’ils avaient le droit ou la possibilité de réfléchir plus longtemps à leur vie future, d’attendre encore un peu pour choisir leur voie. La scolarité fait temporairement office de projet professionnel, en assurant un lieu refuge, une protection vis-à-vis de l’environnement peu engageant en temps de crise, différant ainsi le moment de l’insertion professionnelle.
9Le projet se développe à partir des ressources scolaires qui permettent paradoxalement de différer son engagement. « Le privilège devient même l’absence d’obligation d’avoir un projet » (Dubet, 1991, p. 198).
10Ce sont surtout les adultes qui pensent à long terme, alors que beaucoup d’adolescents vivent leur scolarité au jour le jour, à travers les nombreuses évaluations et vérifications vécues comme « l’épée de Damoclès au-dessus de leur tête » ; « sois performant ou tu ne choisiras pas ta voie ! ». Cependant, pour la plupart des lycéens rencontrés par Dubet (1991), la sélection est une préoccupation centrale, seuls les « très bons » et les « très faibles » sont plus indifférents, étant pris dans des carrières automatiques. Une hiérarchie des filières se dessine de manière objective, construisant les règles de cette sélection. L’inégalité des filières va de soi, reconnue à la fois par les professeurs, les parents et les élèves.
11Quelles que soient les filières, le baccalauréat est l’objectif central et la clé qui permet, oblige ou empêche les lycéens de faire des projets. La crainte du chômage est présente chez beaucoup de jeunes, alors que peu d’entre eux ont le sentiment de réussir leurs études et envisagent l’avenir avec sérénité (Dubet, 1991).
12Par ailleurs, les orientations scolaires et professionnelles restent profondément sexuées, les filles et les garçons ne mènent pas les mêmes carrières scolaires. Les orientations des filles sont moins en rapport avec leurs performances scolaires et sont moins diversifiées que celles des garçons. « À l’école, filles et garçons élaborent des représentations de soi et des représentations de leur avenir fortement congruentes à l’organisation sociale des rapports de sexe » (Durand-Delvigne, 1996, p. 99). Mais, pour les filles comme pour les garçons, les difficultés à s’orienter demeurent.
1.2. L’éducation à l’orientation
13Entre choix et exigences, l’adolescent ne peut s’en sortir seul, l’aide d’un conseiller peut lui être très précieuse. La pratique du Conseiller d’Orientation-Psychologue est une maïeutique. Son objectif est d’aider le sujet à repérer, dans ses représentations et ses souhaits, les projets implicitement contenus (Guichard, 1993). Les diverses actions réalisées habituellement, en relation avec le problème de l’orientation scolaire des adolescents, mettent en avant le rôle primordial de l’information : mieux informé, l’adolescent pourra plus facilement s’orienter.
14L’aide à l’orientation mise en place au collège et au lycée privilégie justement l’accès des élèves à l’information : la connaissance de l’environnement économique serait, notamment, un facteur essentiel dans la prise de décision de l’élève. Les Conseillers d’Orientation-Psychologues (partenaires privilégiés des adolescents dans leur choix d’orientation), les Conseillers Principaux d’Éducation (C.P.E.) et les enseignants considérablement impliqués dans l’orientation du jeune, sont censés donner à l’élève les moyens d’accéder aux informations sur les systèmes scolaires et universitaires, sur les professions et sur les formations qui y préparent.
15La connaissance générale de l’environnement économique et des activités professionnelles s’acquiert ainsi, à la fois par des observations conduites dans le monde du travail et par les rencontres ménagées au cours de l’année. Elle est facilitée par la perception qu’a l’élève de l’utilité, pour l’exercice d’une profession, des connaissances qu’il a acquises.
16Mais, dès 1989, la question du choix et de son apprentissage se pose de manière plus prégnante, l’orientation s’apprend et le ministère tente de systématiser dans les établissements scolaires les actions d’éducation à l’orientation (loi d’orientation du 10 juillet 1989, circulaire du 31 juillet 1996, circulaire du 1er octobre 1996).
17Cependant, nous pensons que la réponse de l’institution en terme d’information sur les filières, les écoles et les métiers se révèle bien souvent inadaptée ou insuffisante. À certains moments, qui restent privilégiés, les jeunes se montrent disponibles pour un travail individuel approfondi, sur eux-mêmes et sur leurs projets. Ces moments ne sont pas identiques pour tous. Cet approfondissement est incompatible avec une intervention de masse car il ouvre des perspectives nouvelles pour l’individu au-delà de la classe fréquentée. La catégorie socioprofessionnelle de la famille, les expériences vécues en terme professionnel ou pré-professionnel comme les stages en entreprise, le redoublement, etc. sont autant de critères différenciant les individus et l’approche de leur projet qu’ils développent. L’obligation d’un choix d’orientation est souvent génératrice de stress pour l’adolescent, qui subit en effet de nombreuses pressions institutionnelles et familiales. Pour lutter contre ce stress, il devra non seulement trouver de l’aide, mais aussi prendre lui-même en charge son projet.
2. L’orientation à l’adolescence : être porteur de son projet
18Être porteur d’un projet n’est pas si simple : pas de projet sans sujet, sans objet, sans rejet, sans trajet, sans lien, quel que soit ce projet ! (Boutinet, 1993). Le projet comprend une part d’autrui que le sujet reconnaît dans ses propres entreprises (Jacques, 1982), l’autre a en effet une place importante dans le projet, sa naissance, sa construction, mais il peut aussi en provoquer la destruction. Il importe donc d’analyser la façon dont le sujet gère les influences et se les approprie.
19Une question se pose alors : « À quel coût humain un projet est-il mené par son auteur ? Au prix de quelle soumission, de quel assujettissement ? » (Boutinet, 1993, p. 85).
20Le déterminisme social étant réel (les aspects économiques, sociaux, familiaux, psychologiques, scolaires, ...) mais non absolu, le projet d’orientation suppose la liberté de l’acteur (une certaine liberté, relative mais indispensable) qui repose sur la signification que l’acteur accorde à la situation.
21Entre liberté et contrainte, entre désir et attente sociale, le sujet fait des projets qui impliquent à la fois anticipation, prévision, gestion du temps, des possibles et du souhaitable, mais aussi des aspirations et des désirs, en articulation avec des moyens et des buts. Les projets souhaités et désirés, indépendamment de données prescrites et légitimées, sont en accord avec les aspirations du sujet. Mais ces projets peuvent être légitimés au nom de valeurs sur lesquelles ils s’appuient et s’affirment, ou être prescrits et dépendre des attentes et des normes dictées par la société. Le sujet répond alors non plus selon ses aspirations, mais en fonction de ce qu’il doit faire, selon ce qu’on attend de lui, selon ce qu’on lui demande d’être ou de faire. Il n’est plus porteur de ses propres projets, mais des projets d’autrui. Toutefois, qu’il s’agisse de projets souhaités, légitimés ou prescrits, portés, porteurs ou à porter, ils orientent le sujet dans son avenir (Esparbès-Pistre, 1997).
22Pour être, le sujet a besoin de se projeter, car « être quelqu’un, c’est construire un passé, valoriser le temps présent et organiser des projets » (Tap, 1986, p. 8). Entre confiance, méfiance, estime de soi et/ou doute, se confrontant sans cesse à la réalité et aux limites de soi (soi réel), à ses aspirations, le sujet donne sens à son avenir. À travers la construction d’une culture personnelle, par identification et appropriation de valeurs spécifiques, il cherche ou construit son projet, s’oriente pour se réaliser. Le projet pouvant être perçu comme jalon d’approche de la réalisation de soi.
23Lorsque la situation implique des zones d’incertitude (maladies, difficultés personnelles et familiales, etc.) le projet peut devenir une stratégie pour faire face à ces incertitudes. « L’orientation stratégique permet de comprendre comment les contraintes, attachées à la situation présente sont utilisées, c’est-à-dire prises en compte, en fonction des objectifs à atteindre » (Béret, 1986, p. 46). Cela nécessite bien évidemment de la part du sujet qu’il réfléchisse sur lui-même, sur ses goûts, ses aspirations et ses désirs, mais aussi sur ses peurs, ses angoisses et ses doutes. Mais cela implique aussi qu’il soit désirant, motivé et mobilisable, qu’il soit en mesure de gérer ses potentialités et ses ressources, de faire des efforts d’intégration sociale, d’insertion par conformité ou innovation, dans un but d’adaptation permettant la sécurisation émotionnelle et donc la gestion du stress et les moyens de « rebondir » par la suite.
3. Les difficultés d’orientation scolaire comme source potentielle de stress
24Ces difficultés peuvent engendrer du « stress psychologique », si l’adolescent les perçoit comme menaçantes, ou juge qu’il ne dispose pas des ressources personnelles et sociales nécessaires pour les affronter (Lazarus & Folkman, 1984). Le stress psychologique est généralement centré sur les émotions négatives (colère, effroi, anxiété, honte, culpabilité, tristesse, envie, jalousie et dégoût), les émotions positives ont plus un rôle d’interruption du stress (joie, fierté, soulagement et amour) (Paulhan & Bourgeois, 1995). Le stress est envisagé ici comme l’ensemble des perceptions d’impuissance et de malaise qui envahissent l’individu face à des événements difficiles à maîtriser (Lazarus & Folkman, 1984).
25Le stress ne réside ni dans l’événement, ni dans l’individu, mais dans la transaction individu-environnement. Selon Lazarus et Folkman, « le stress est la relation particulière entre la personne et l’environnement, évalué par la personne comme dépassant ou excédant ses ressources et mettant en danger son bien-être » (1984, p. 19).
26D’autres questions se posent alors : quelles sont les difficultés que rencontre l’adolescent face à l’objectif d’orientation scolaire ? Ces difficultés sont-elles stressantes pour lui ? Il s’agit, non seulement de connaître les obstacles que rencontre l’adolescent dans la construction ou l’affirmation de son projet d’orientation, mais aussi de savoir comment il évalue ces difficultés rencontrées. Les difficultés peuvent être diverses et porter sur :
- l’absence d’un projet professionnel clairement défini par le jeune ;
- les résultats scolaires ne lui permettant pas de s’engager dans la voie souhaitée ;
- les limites économiques (financières) de la famille ;
- le manque d’information concernant les possibilités d’orientation ;
- ou encore le manque de soutien de la part de l’entourage proche.
27L’enfant et l’adolescent, de la même façon que l’adulte dans le milieu professionnel, sont confrontés au stress dans le domaine scolaire, chacun faisant son propre « métier ». Perrenoud (1994) parle du « métier d’élève » à propos du travail scolaire. Ce métier d’élève peut alors, comme tout autre métier, produire un certain stress appelé stress scolaire. Selon Giron : « on ne peut parler de stress à l’école que si la situation scolaire est perçue par l’élève comme porteuse d’enjeu, c’est-à-dire quand il a le sentiment que ce que l’on attend de lui dépasse ses compétences et quand il estime que l’objectif à atteindre mérite l’effort qui lui est demandé... L’enjeu c’est celui de la socialisation, c’est celui de la réussite de l’entrée dans la société. L’enfant est donc confronté à cette pensée commune qui prend la forme d’une pression à la réussite qu’il va très tôt intérioriser » (2001, p. 1).
28Dans l’orientation scolaire et professionnelle, l’enjeu est de taille, puisqu’il s’agit de l’avenir du sujet.
29Trouver les moyens de gérer toutes ces difficultés s’avère souvent difficile, le jeune vivant parfois son projet de façon trop idéalisée et prégnante, ou visant une réalisation immédiate et non la maturation du projet. À travers l’élaboration d’un projet d’orientation et d’insertion, l’adolescent cherche à donner un sens à sa vie, sous l’effet de contraintes extérieures multiples, par l’obligation sociale qui le pousse à prendre une série de décisions relatives à son avenir.
30L’accumulation de telles difficultés associées aux pressions internes ou externes peut menacer le bien-être psychologique de l’adolescent, augmenter son sentiment d’impuissance et l’amener à vivre un état de stress susceptible de se manifester par la lassitude, la fébrilité, l’humeur dépressive, les manifestations physiques (nœud à l’estomac, gorge serrée, bouche sèche, etc.) (Tap et al., 2002 ; Esparbès-Pistre & Bergonnier-Dupuy, 2002).
31Le lycéen peut en effet ressentir une dissonance entre son choix« idéal » et des contraintes matérielles, socio-économiques, personnelles et en particulier affectives. Par exemple, désirant s’orienter vers une certaine profession, il est gêné dans son choix par des possibilités matérielles insuffisantes, par une conjoncture économique défavorable (manque de débouchés), par des attentes parentales opposées aux siennes, ou par ses propres compétences qu’il estime limitées.
32Il peut aussi se sentir « étranger » à la situation d’orientation scolaire. Contraint de faire un choix alors qu’il n’a élaboré aucun projet, il craint de regretter ce choix prématuré.
33Toutefois, la situation d’orientation scolaire n’est pas stressante« objectivement », elle l’est « subjectivement », en fonction de la signification que l’adolescent lui accorde. Le collège et le lycée ne sont pas des lieux stressants en eux-mêmes. Ils ont même en principe une vocation inverse. Ils se veulent des lieux sécurisants, de savoir, d’échange et de bien-être pour les enfants et les adolescents.
34Mais, le collège, le lycée sont malheureusement aussi des lieux de marginalisation, par le biais de la sélection ou des violences. « Soumis sans cesse à des injonctions paradoxales : au niveau de la classe (travaille ou tu ne réussiras pas), au niveau de l’institution scolaire (tu ne peux pas rester ici, trouve-toi une orientation, avec ton niveau tu ne peux aller nulle part), le jeune perd progressivement toute confiance en lui-même et dans les adultes qui lui font face » (Haut comité de Santé Publique, 1998, p. 183). Ainsi, l’école maintient de nombreux enfants, pendant de longues années, dans l’expérience de l’échec, dans un milieu pathogène pour eux. Ce sont essentiellement ces jeunes qui développent des manifestations de violence contre eux-mêmes (tentatives de suicide, conduites à risques sur des engins à moteur, toxicomanies, alcoolisme, etc.) contre les autres jeunes ou contre l’institution (vandalisme, agressions) (op. cit.).
4. Différences ou inégalités des garçons et des filles devant l’école et l’orientation ?
35On peut à juste titre se demander si les garçons et les filles sont autant stressés par l’orientation scolaire et s’ils rencontrent les mêmes difficultés scolaires puisque les inégalités sexuelles d’éducation familiale et scolaire ne datent pas d’aujourd’hui.
36Nous empruntons quelques références théoriques à l’excellente revue de question sur la différence de sexe d’Yves Prêteur (1996).
37Depuis l’avènement de l’école obligatoire, malgré le combat des femmes, il leur fut difficile de « passer d’un interdit de savoir généralisé (et d’une instruction réservée aux hommes) à un interdit restreint, avec sa traduction scolaire » (Mosconi, 1994). Dans leur « Bilan de l’instruction des filles avant la Révolution », F. Lelièvre et C. Lelièvre (1991) constatent que l’alphabétisation et la scolarisation des filles sont inférieures à celles des garçons. Le projet politique de l’école selon Ferry (de mars 1882) est d’assurer une grande stabilité par le maintien de trois dissociations majeures : l’école est séparée de la production, l’école du peuple de celle des privilégiés, l’école des garçons de celle des filles. Cette triple différenciation doit garantir que chacun et chacune reste à sa place, et que tout reste en place (Nique & Lelièvre, 1993). Il s’agissait d’éduquer les filles à leur rôle de femmes au foyer, de femmes « d’intérieur ». Même si, aujourd’hui, à la suite des bouleversements socio-économiques récents, les trajectoires scolaires des jeunes issus des différents milieux et leurs projets d’avenir en relation avec les transformations de l’offre d’éducation ont été profondément repensés ces dernières décennies, il n’en reste pas moins que certaines différences demeurent. Zazzo (1978, 1982) avait déjà montré que, dès l’école maternelle, les filles présentent plus de stabilité, plus de maîtrise de soi, plus d’autonomie dans l’exécution des tâches communes. Et ces meilleures « conduites adaptatives » leur permettent de réaliser, dès le cours préparatoire, des performances supérieures à celles des garçons. Une recherche auprès de 700 collégiens va dans ce sens et montre que les filles maîtrisent mieux les interactions en classe, rentabilisent mieux la communication pédagogique et gèrent mieux leur « métier d’élève » (Felouzi, 1993). Une étude comparée réalisée dans huit pays de l’O.C.D.E. (Australie, Belgique, Espagne, États-Unis, France, Grèce, Norvège, Suisse), confirme que, dans tous les cas, les filles sont à la fois moins souvent en retard et plus régulièrement en avance que les garçons à l’école élémentaire (citée par Zazzo, 1993). Par ailleurs, sur le plan des attitudes éducatives et des comportements éducatifs parentaux, Verquerre (1989) constate que les préoccupations essentielles des parents à l’égard de la fille et du garçon sont différentes : les mères, à travers leurs pratiques éducatives, amplifient les différences et envisagent les filles beaucoup plus adultes que les garçons ; ainsi le garçon serait plus « nature » et infantile, la fille étant plus soumise, inhibée mais en même temps plus contrôlée et plus « mûre ».
38Par ailleurs, au niveau émotionnel aussi des différences apparaissent, les pratiques éducatives amenant davantage les filles à se confier, à parler, acceptant plus facilement aussi les doutes, les peurs et les larmes des filles que ceux des garçons. Dans le choix des métiers des différences apparaissent aussi. Certains métiers sont surtout choisis par les garçons et d’autres par les filles : là encore, devant l’orientation, les inégalités sexuelles demeurent. Et malgré les compétences des filles, leur choix d’orientation et leur évolution de carrière ne sont pas identiques à celle des garçons, indépendamment du salaire parfois, du harcèlement dont elles font l’objet, etc.
39Actuellement, face à la violence dans certains établissements, certains envisagent même le retour à des classes non mixte, les filles d’un côté, les garçons de l’autre : comme si la violence portait uniquement sur les rapports entre garçons et filles (n’existe-t-il pas aussi une violence entre garçons et entre filles ?), comme si le jeu des rapports interpersonnels gênaient le travail scolaire (alors qu’il participe à la construction de l’identité de femme, d’homme et de citoyen (dans le respect de l’égalité des sexes)).
40On voit combien aujourd’hui encore les différences liées au sexe sont actuelles et persistantes. Cette recherche tente de voir, au-delà des difficultés d’orientation rencontrées lors des différents passages de classe par les adolescents, si ces différences entre garçons et filles persistent, et de comprendre leurs répercussions sur l’état émotionnel des adolescents.
41Nous faisons donc l’hypothèse selon laquelle le sexe des sujets, la classe qu’ils fréquentent (de la cinquième à la terminale) et les difficultés d’orientation qu’ils rencontrent ont une influence significative sur le stress des adolescents scolarisés.
42Selon le genre et la classe des élèves, le nombre et la nature des difficultés d’orientation agissent sur le niveau de stress perçu des collégiens et lycéens. Par exemple, plus les difficultés seront nombreuses et peu maîtrisables par le sujet, plus celui-ci éprouvera du stress face à son orientation scolaire et professionnelle. Des filles ou des garçons, lesquels seront les plus stressés ? Dans quelles classes le stress lié à l’orientation sera-t-il le plus marqué ?
5. Méthodologie
5.1. Population
43Cette étude porte sur 2 042 adolescents âgés de 12 à 20 ans et scolarisés dans des classes allant de la cinquième à la terminale, leur distribution s’observe dans le tableau suivant :
Tableau 1 / Table 1
Garçons
|
Filles
|
12 ans
|
13 ans
|
14 ans
|
15 ans
|
16 ans
|
17 ans
|
18-20 ans
|
Total
| |
5e
|
38
|
1 57
|
64
|
29
|
2
|
95
| ||||
4e
|
31
|
1 49
|
37
|
33
|
10
|
80
| ||||
3e
|
32
|
1 20
|
2
|
29
|
13
|
8
|
52
| |||
2e
|
437
|
1 386
|
208
|
392
|
198
|
25
|
823
| |||
1re
|
246
|
1 396
|
1
|
5
|
236
|
288
|
112
|
2 642
| ||
Term.
|
172
|
1 178
|
4
|
160
|
186
|
2 350
| ||||
Total
|
956
|
1 086
|
64
|
68
|
65
|
236
|
640
|
646
|
323
|
2 042
|
Répartition des effectifs selon la classe, le sexe et l’âge / Distribution of total number for school class, sex and ages.
44Ces élèves (956 garçons et 1 086 filles) ont répondu aux questionnaires dans leurs établissements publics respectifs et proviennent de milieux socioculturels variés.
5.2. Instruments
45À partir des travaux de Boutinet (1990, 1993), de Dubet (1991) ou de Guichard (1993), nous avons élaboré un questionnaire en onze items auxquels les élèves devaient répondre par « oui » ou par « non ».
46Afin de savoir quelles sont les difficultés liées à l’orientation rencontrées par les élèves et cerner l’origine de celles-ci, onze difficultés leur étaient donc proposées.
Diff. no 1 : Vous avez des difficultés à élaborer un projet d’orientation (scolaire et/ou professionnel).Diff. no 2 : Vous souhaiteriez vous orienter dans une filière post-baccalauréat ou vers une profession mais vous pensez que vous n’y parviendrez pas.Diff. no 3 : Vous manquez d’informations qui vous aideraient à faire un choix d’orientation.Diff. no 4 : Vous avez trop d’informations et cela vous gène dans votre choix.Diff. no 5 : Dans votre entourage, vos parents, ou amis, vous incitent à faire un choix que vous n’avez pas envie de faire.Diff. no 6 : Vous aimeriez être davantage soutenu(e), aidé(e), pour faire vos choix d’orientation.Diff. no 7 : Un métier vous intéresse, mais vous pensez qu’il n’y a pas de débouchés et cela vous pose problème.Diff. no 8 : Un métier (ou une filière post-baccalauréat) vous intéresse, mais vous pensez que vous n’avez pas les compétences nécessaires pour vous orienter dans cette voie.Diff. no 9 : Un métier (ou une filière post-baccalauréat) vous intéresse, mais matériellement, vous pensez qu’il ne sera pas possible de vous orienter dans cette voie.Diff. no 10 : Plusieurs métiers (ou filières post-baccalauréat) vous intéressent, et vous ne savez pas lequel (laquelle) choisir.Diff. no 11 : Vous rencontrez d’autres difficultés concernant votre orientation.
47Il est intéressant de savoir si le stress provoqué par la nécessité de choisir une orientation est dû :
- à l’absence d’un projet professionnel clairement défini par le jeune (questions 1 et 10) ;
- à des difficultés scolaires ne lui permettant pas de s’engager dans la voie souhaitée (questions 2 et 8) ;
- à des difficultés économiques (questions 7 et 9) ;
- à un manque d’information concernant les possibilités d’orientation (questions 3 et 4) ;
- ou encore à un manque de soutien de la part de son entourage proche (questions 5 et 6).
48La consigne proposée est la suivante : « La question de l’orientation scolaire et/ou professionnelle se pose pendant de nombreuses années : votre orientation peut commencer avant l’entrée au lycée et continue souvent au-delà. Elle comporte de multiples aspects et nécessite de prendre des décisions concernant votre avenir. Nous aimerions savoir ce qui vous semble difficile à vivre dans cette situation d’orientation. Dans un premier temps, nous vous proposons de répondre au questionnaire suivant (entourez la réponse choisie) : ».
49Un score de difficultés est ainsi calculé en cotant un point pour une réponse oui et zéro pour une réponse non. Lorsque les élèves répondent par oui à une ou plusieurs des propositions de 1 à 10, ils estiment rencontrer une ou plusieurs difficultés d’orientation. Les élèves répondant non aux 10 propositions et citant une autre source de stress à l’item 11, placent alors l’origine de leur stress dans d’autres faits de leur vie. Les résultats de ce présent article ne concerneront que les difficultés d’orientation, évoquées par la réponse oui à un ou plusieurs de ces onze items.
Le stress perçu évalué par l’Échelle Toulousaine de Stress
50L’E.T.S. a été élaborée à partir d’échelles de stress existantes, en particulier l’échelle québécoise « Mesure du Stress Psychologique » (54 items ; échelle construite par Lemyre, Tessier & Fillion, 1990). Elle comporte 30 items mettant l’accent sur les symptômes physiques et psychologiques du stress et sur la façon dont le sujet les éprouve. Elle permet d’appréhender la nature et l’intensité du stress.
51La consigne donnée dans la présente recherche tenait compte de la population cible : les adolescents scolarisés, et s’énonçait ainsi : « Pensez au choix d’orientation scolaire et/ou professionnelle que vous devez faire et au difficultés que vous rencontrez. Nous aimerions connaître votre façon de vivre cette situation. Nous vous proposons une série d’affirmations suivie de cinq chiffres. Entourez l’un des cinq chiffres qui vous correspond le mieux : entre 1 (pas du tout) et 5 (très souvent). Efforcez-vous de répondre à toutes les phrases. »
52Pour chacun des 30 items, les sujets doivent se positionner sur une échelle de type Likert en 5 points, allant de 1 (pas du tout d’accord) à 5 (tout à fait d’accord).
53L’Analyse en Composantes Principales avec rotation varimax1 portant sur les 30 items de cette échelle met en évidence quatre dimensions, expliquant 46,4 % de la variance totale et satisfaisant à la fois les critères statistiques et psychologiques (Tap et al., 2002).
Le Facteur 1 (32,2 % de variance ; intitulé : Manifestations physiques du stress) est constitué de 10 items. La cohérence interne est de = .79. Parmi ces manifestations nous pouvons citer les troubles cardiaques, respiratoires, intestinaux, etc.
Le Facteur 2 (5,7 % de variance ; intitulé : Humeur dépressive) est composé de 9 items. La cohérence interne est de = .86. Ce facteur correspond à l’ensemble des sentiments liés à la perte de confiance en soi (impuissance, découragement), de la maîtrise des situations et des relations (solitude, menace, être incompris, inadaptation).
Le Facteur 3 (4,5 % de variance ; intitulé : Fébrilité/Tension) est constitué de 5 items. La cohérence interne est de = .77. Ce facteur est lié à l’hyperactivité et à la difficulté à gérer le temps sous la pression des styles de vie moderne.
Le Facteur 4 (4 % de variance ; intitulé : Lassitude) est composé de 6 items. La cohérence interne est de = .71. Ce facteur est essentiellement fondé sur la fatigue, la perte d’énergie, le sentiment de vide.
La cohérence interne pour l’échelle totale est forte : = .92.
54La mesure du stress de l’élève se traduira par un score compris entre 30 et 150, obtenu par la somme des réponses du sujet aux 30 items.
6. Résultats et interprétations
55Sur les 2 042 adolescents, 1 748 (789 garçons et 959 filles) disent rencontrer une ou plusieurs difficultés d’orientation parmi les onze proposées par le questionnaire.
6.1. Les difficultés d’orientation: fréquence selon le sexe et la classe
56La population d’étude déclare très majoritairement rencontrer des difficultés dans son orientation scolaire (85,6 % d’entre eux). Cela concerne 82,5 % des garçons et 88,3 % des filles. 167 garçons (17,5 %) et 127 filles (11,7 %) ont répondu non à l’ensemble des difficultés proposées par le questionnaire. Ces élèves citent une source principale de stress autre que celles liées aux difficultés vécues dans leur scolarité (soit 14,4 % des collégiens et lycéens).
57Les réponses font apparaître les résultats suivants :
Tableau 2 / Table 2
Fréquence
|
Anova garçons/filles
| |||||
Diff. no 1 : difficultés à élaborer un projet
|
|
F = 0,01
Ddl = 1 P = .919 N.S. | ||||
Diff. no 3 : manque d’informations
|
|
F = 1,33
Ddl = 1 P = .250 N.S. | ||||
Diff. no 6 : insuffisance d’aide, de soutien
|
|
F = 22,56
Ddl = 1 p = .001 | ||||
Diff. no 10 : choix entre plusieurs métiers
|
|
F = 0,13
Ddl = 1 P = .721 N.S. | ||||
Diff. no 8 : compétences insuffisantes
|
|
F = 17,67
Ddl = 1 p = .001 | ||||
Diff. no 7 : manque de débouchés
|
|
F = 20,22
Ddl = 1 p = .001 | ||||
Diff. no 2 : doute sur soi
|
|
F = 5,80
Ddl = 1 p = .016 | ||||
Diff. no 9 : difficultés matérielles
|
|
F = 4,28
Ddl = 1 p = .039 | ||||
Diff. no 11 : autres difficultés
|
|
F = 3,30
Ddl = 1 P = .070 N.S. | ||||
Diff. no 5 : pression de l’entourage
|
|
F = 0,02
Ddl = 1 P = .903 N.S. | ||||
Diff. no 4 : trop d’informations
|
|
F = 10,04
Ddl = 1 p = .002 |
Répartition des effectifs (garçons/filles) pour les difficultés d’orientation / Distribution of total number (boys/girls) for difficulties’advice.
58Les difficultés proposées par le questionnaire n’obtiennent donc pas les mêmes fréquences de réponses chez les élèves. En particulier l’item no 1 portant sur les difficultés à élaborer un projet d’orientation apparaît comme le problème rencontré par le plus grand nombre d’élèves alors que le trop d’informations (item no 4) pose problème à seulement 7,8 % d’entre eux.
59Certaines de ces difficultés sont différemment perçues selon qu’il s’agit des filles et des garçons. Par l’analyse de variance (ANOVA), nous observons que parmi ces élèves disant rencontrer des difficultés dans leur orientation scolaire et professionnelle, les filles sont plus nombreuses à ressentir un manque de soutien (difficulté 6), à penser qu’elles manquent de compétences (difficulté 8), à estimer qu’elles manquent de débouchés (difficulté 7), à douter d’elles-mêmes (difficulté 2) et à éprouver des difficultés matérielles dans leur orientation (difficulté 9). Les garçons n’évoquent plus souvent que la trop grande quantité d’informations (difficulté 4).
60Ces résultats montrent que les difficultés citées par plus de la moitié des élèves dépendent de l’environnement. Il s’agit des contraintes pouvant gêner le projet professionnel (difficulté 1) ; du manque d’information (difficulté 3) et du manque de soutien extérieur (difficulté 6).
61Par ailleurs, des différences significatives selon la classe des élèves apparaissent dans l’analyse de variance. Les principaux résultats peuvent être analysés dans le tableau ci-après :
Tableau 3 / Table 3
Moyennes par classes
|
Moyennes par sexe
|
Ecart type
|
Ddl
|
F
|
Seuil de signif.
| |
Difficulté no 10
|
5e : 0,61
4e : 0,49
3e : 0,43
2e : 0,45
1re : 0,52
Term. : 0,39
|
G = 0,57 ; F = 0,64
G = 0,54 ; F = 0,47
G = 0,43 ; F = 0,42
G = 0,48 ; F = 0,42
G = 0,49 ; F = 0,54
G = 0,43 ; F = 0,36
|
0,50
|
5
|
4,06
|
.001
|
Difficulté no 3
|
5e : 0,53
4e : 0,63
3e : 0,63
2e : 0,45
1re : 0,62
Term. : 0,40
|
G = 0,54 ; F = 0,53
G = 0,61 ; F = 0,64
G = 0,53 ; F = 0,79
G = 0,48 ; F = 0,42
G = 0,56 ; F = 0,66
G = 0,41 ; F = 0,38
|
0,50
|
5
|
12,24
|
.001
|
Difficulté no 1
|
5e : 0,50
4e : 0,40
3e : 0,57
2e : 0,54
1re : 0,67
Term. : 0,47
|
G = 0,49 ; F = 0,51
G = 0,39 ; F = 0,40
G = 0,53 ; F = 0,63
G = 0,57 ; F = 0,51
G = 0,65 ; F = 0,68
G = 0,47 ; F = 0,47
|
0,50
|
5
|
9,18
|
.001
|
Difficulté no 2
|
5e : 0,41
4e : 0,48
3e : 0,41
2e : 0,37
1re : 0,28
Term. : 0,25
|
G = 0,35 ; F = 0,45
G = 0,50 ; F = 0,47
G = 0,40 ; F = 0,42
G = 0,31 ; F = 0,44
G = 0,27 ; F = 0,29
G = 0,25 ; F = 0,26
|
0,47
|
5
|
6,07
|
.001
|
Résultats de l’ANOVA entre les classes et les difficultés / Results of ANOVA between School class and difficulties.
62Ainsi, en cinquième le problème de choix entre plusieurs métiers futurs(difficulté no 10 ; m = 0,61) semble spécialement difficile (F = 4,06 ; p = .001). Les élèves de quatrième (m = 0,63) et de troisième (m = 0,63) témoignent manquer d’information sur leur orientation (difficulté no 3 ; F = 12,24 ; p = .001). Cependant la difficulté à élaborer un projet (difficulté no 1) est plus fortement ressentie par les élèves de classe de troisième (m = 0,57) et surtout de première (m = 0,67) alors qu’elle est moins exprimée par les élèves de terminale (m = 0,47) (F = 9,18 ; p = .001). Nous constatons que le manque d’information (difficulté no 3) concernant l’orientation, les difficultés à élaborer un projet d’orientation (difficulté no 1) et les difficultés de choix entre plusieurs métiers possèdent une évolution semblable chez les seuls lycéens. En classe de première, le manque d’information semble important aux yeux des lycéens et s’accompagne dedifficultés de choix et d’élaboration du projet professionnel. Ceci est moins vrai en classe de seconde et diminue en terminale où ces difficultés semblent s’estomper, la focalisation sur l’examen du baccalauréat pourrait expliquer cette diminution.
63La difficulté de choisir entre plusieurs métiers diminue significativement du collège au lycée malgré un pic en première. Le doute de l’élève sur lui-même et sur la réalisation de son projet décroît au long de la scolarité (F = 6,07 ; p = .001), avec néanmoins une augmentation en quatrième (m = 0,48), classe où le doute apparaît le plus élevé.
6.2. La nature des difficultés et leurs liens
64Afin de vérifier les liens et les différences entre les catégories de difficultés, nous procédons à une Analyse Factorielle des Correspondances Multiples (A.F.C.M.) sur les 11 items. Cette analyse nous conduit à préciser la position des items sur un graphique (voir page suivante) présentant orthogonalement les deux premiers facteurs.
65Les coordonnées spécifiant les positions des items figurent en Annexe 1.Les réponses sont ainsi positionnées selon deux facteurs. Le facteur 1 (axe horizontal) sépare donc les réponses « oui » des réponses « non » tandis que le facteur 2 (axe vertical) confirme la dichotomie entre difficultés externes et difficultés internes. Le cadran II contient le choix des difficultés 1 ; 3 ; 6 ; 10 et 11. Celles-ci sont de type externe impliquant un environnement peu favorable dans lequel le sujet manque d’information et
Graphique 1 / Graph 1
Champ factoriel 1 × 2 (A.F.C.M.) concernant le questionnaire des difficultés d’orientation / Factorial plan 1 × 2 (A.F.C.M.) about the difficulties’advice questionnaire.
d’aide. Le cadran III concerne les difficultés 2 ; 5 ; 8 ; 9 qui révèlent le primat de difficultés internes montrant une centration sur soi et ses propres conséquences par une motivation bloquée par le doute de soi, la pression ressentie, le doute sur ses compétences, ou sur les moyens.
66Le résultat statistique de cette analyse factorielle valide la séparation entre difficultés internes et externes et permettra donc de calculer deux scores partiels s’ajoutant au score global calculé à partir du total des réponses positives. La difficulté no 4 (Trop d’information) qui se trouve en position excentrée et séparée du groupe de difficultés 2, 5, 8 et 9 et qui, de plus, est la moins citée par les adolescents ne sera donc pas prise en compte pour le calcul du score de difficultés internes. De même, la difficulté no 7(Manque de débouchés) qui est proche de l’axe du facteur 2 n’est donc pas discriminante dans la distinction interne/externe révélée par l’A.F.C.M.
6.3. Le nombre de difficultés : analyse selon le sexe et la classe
67La consigne demandait aux élèves de répondre par oui ou non aux difficultés proposées. Nous pouvons ainsi comptabiliser la fréquence des réponses oui se traduisant par un score de difficultés compris ainsi entre 1 et 10 (le score 11 n’ayant été obtenu par aucun élève).
68Le nombre de difficultés citées par les élèves se répartit de la manière suivante :
Tableau 4 / Table 4
Nombre de difficultés
|
Fréquence
|
Pour cent
|
Pourcentage cumulé
|
1 seule diff.
|
250
|
14,3
|
14,3
|
2 difficultés
|
271
|
15,5
|
29,8
|
3 difficultés
|
315
|
18,1
|
47,8
|
4 difficultés
|
310
|
17,7
|
65,6
|
5 difficultés
|
253
|
14,5
|
80,0
|
6 difficultés
|
165
|
9,4
|
89,5
|
7 difficultés
|
118
|
6,8
|
96,2
|
8 difficultés
|
54
|
3,1
|
99,3
|
9 difficultés
|
8
|
0,5
|
99,8
|
10 difficultés
|
4
|
0,2
|
100,8
|
11 difficultés
|
0
|
0
| |
Total
|
1 748
|
100,2
|
Nombre de difficultés citées / Number of quoted difficulties.
69Le nombre moyen de difficultés d’orientation pour notre population s’élève à 3,8. Les élèves ressentent donc en moyenne près de quatre difficultés (sur les onze proposées) dans leur orientation scolaire et professionnelle.
70Le nombre de difficultés apparaît plus important de la cinquième (m = 3,9) à la quatrième (m = 4,4), puis il diminue jusqu’en seconde (m = 3,7). Il augmente à nouveau chez les élèves de première (m = 4,1) et chute chez les terminales (m = 3,2).
71L’analyse de variance montre de façon significative qu’il existe des différences entre les filles et les garçons (F = 16,91 ; m = 3,78 ; E.T. = 1,96 ; ddl = 1 ; p = .001) et entre les classes (F = 9,39 ; m = 3,78 ; E.T. = 1,96 ; ddl = 5 ; p = .001) pour le nombre de difficultés d’orientation perçues par les élèves.
72En effet, les garçons ressentent en moyenne 3,6 difficultés d’orientation alors que les filles en perçoivent en moyenne 4,0. Quelle que soit la classe les filles prétendent donc avoir des difficultés plus nombreuses que les garçons sauf en terminale. Les différences entre garçons et filles varient d’une classe à l’autre (cf. tableau 5) :
Tableau 5 / Table 5
Moyennes par classes
|
Ecart-type
| |
Garçons
|
5e : 3,46
4e : 4,18
3e : 3,80
2e : 3,55
1re : 3,67
Term. : 3,12
Total : 3,54
|
1,89
1,76 1,61 1,92 1,91 1,94 1,91 |
Filles
|
5e : 4,25
4e : 4,58
3e : 4,63
2e : 3,81
1re : 4,28
Term. : 3,17
Total : 3,97
|
1,96
1,74 2,19 2,02 1,89 1,98 1,99 |
Total
|
5e : 3,92
4e : 4,42
3e : 4,12
2e : 3,68
1re : 4,05
Term. : 3,15
Total : 3,78
|
1,96
1,75 1,88 1,97 1,92 1,96 1,96 |
Nombres moyens de difficultés selon le sexe et la classe / Means Number of difficulties according to sex and class.
73En ce qui concerne les deux catégories de difficultés (internes et externes) mises en évidence par l’A.F.C.M., nous observons des différences significatives selon le sexe et la classe des élèves.
74Les filles ressentent à la fois plus de difficultés internes (F = 15,71 ; m = 1,09 ; E.T. = 1,05 ; ddl = 1 ; p = .001) et externes (F = 3,98 ; m = 2,22 ; E.T. = 1,30 ; ddl = 1 ; p = .046) quelle que soit la classe.
Tableau 6 / Table 6
Difficultés internes
|
Difficultés externes
| |||
Moyennes par classes
|
Ecart-type
|
Moyennes par classes
|
Ecart-type
| |
Garçons
|
5e : 0,86
4e : 1,61
3e : 1,13
2e : 0,97
1re : 0,96
Term. : 0,93
Total : 0,98
|
0,95
1,07 1,14 1,00 1,08 1,00 1,03 |
5e : 2,19
4e : 2,04
3e : 2,17
2e : 2,11
1re : 2,32
Term. : 1,84
Total : 2,13
|
1,27
0,96 1,09 1,25 1,26 1,40 1,27 |
Filles
|
5e : 1,25
4e : 1,62
3e : 1,58
2e : 1,27
1re : 1,12
Term. : 0,86
Total : 1,18
|
1,07
0,98 1,07 1,08 1,02 0,99 1,05 |
5e : 2,43
4e : 2,20
3e : 2,42
2e : 2,09
1re : 2,64
Term. : 1,89
Total : 2,29
|
1,29
1,10 1,07 1,33 1,28 1,30 1,32 |
Total
|
5e : 1,09
4e : 1,62
3e : 1,31
2e : 1,12
1re : 1,06
Term. : 0,90
Total : 1,09
|
1,03
1,01 1,12 1,05 1,04 0,99 1,05 |
5e : 2,33
4e : 2,14
3e : 2,27
2e : 2,10
1re : 2,52
Term. : 1,87
Total : 2,22
|
1,28
1,05 1,08 1,29 1,28 1,35 1,30 |
Nombres moyens de difficultés internes et externes selon le sexe et la classe / Means Number of internals and externals difficulties according to sex and class.
75De plus, les élèves ne témoignent pas du même nombre de difficultés internes (F = 6,37 ; m = 1,09 ; E.T. = 1,05 ; ddl = 5 ; p = .001) et de difficultés externes (F = 11,00 ; m = 2,22 ; E.T. = 1,30 ; ddl = 5 ; p = .001) selon la classe dans laquelle ils se trouvent scolarisés.
76L’évolution du nombre moyen de difficultés de type interne et externe s’observe sur le graphique des courbes lissées page suivante.
77Le nombre moyen de difficultés internes est bien plus élevé en classe de quatrième (m = 1,6) pour tous. Ces difficultés internes très fortes en quatrième pour les garçons et pour les filles et en troisième pour les filles, correspondraient à une crise des 15 ans incluant des problèmes d’orientation sans se limiter à eux. Chez les garçons comme chez les filles, ce nombre diminue progressivement dans les classes jusqu’en terminale. Plus les élèves approchent du baccalauréat, plus les difficultés de type interne concernant leur orientation scolaire et professionnelle s’estompent.
Graphique 2 / Graph 2
Nombre moyen de difficultés internes et externes selon le sexe et la classe / Mean number of internals and externals difficulties according to sex and class.
78Le nombre moyen des difficultés externes diminue légèrement de la cinquième (m = 2,3) à la seconde (m = 2,1) avant de connaître un niveau plus fort en classe de première (m = 2,5) (F = 11,01 ; m = 2,22 ; E.T. = 1,30 ; ddl = 5 ; p = .001) et de façon significativement plus marquée chez les filles (m = 2,6) que chez les garçons (m = 2,3) (F = 3,98 ; m = 2,22 ; E.T. = 1,30 ; ddl = 1 ; p = .046). Ce nombre moyen chute en classe de terminale (m = 1,9) comme pour les difficultés internes.
79Il convient d’analyser maintenant le lien entre le nombre de difficultés rencontrées et le niveau de stress perçu chez les élèves.
6.4. Le nombre de difficultés d’orientation et le niveau de stress perçu
80Selon notre hypothèse, plus les élèves rencontrent de difficultés d’orientation (variables explicatives), plus ils vivront ces difficultés de manière stressante (variable à expliquer).
81L’analyse statistique par régression linéaire (méthode pas à pas) produit des coefficients de régression positifs et significatifs pour les quatre dimensions du stress ainsi que pour le niveau de stress total. Nous montrons donc que le nombre de difficultés liées à l’orientation scolaire rencontrées par les élèves favorisent les manifestations physiques du stress (B = .840 ; R2 = .066 ; F = 122,68 ; p = .001) ; de la fébrilité et de la tension(B = .889 ; R2 = .143 ; F = 290,75 ; p = .001) ; de l’humeur dépressive (B = 1.32 ; R2 = .147 ; F = 301,34 ; p = .001) ; de la lassitude (B = .804 ; R2 = .102 ; F = 198,94 ; p = .001) et augmentent globalement le niveau de stress perçu (B = 3.86 ; R2 = .151 ; F = 310,99 ; p = .001).
82Les collégiens et les lycéens évoquant le plus grand nombre de difficultés d’orientation sont les élèves qui se perçoivent les plus stressés.
83Les différences entre garçons et filles pour les niveaux de stress perçu s’observent sur l’histogramme page suivante.
84Les filles (m = 63,94) sont en moyenne plus stressées que les garçons (m = 53,03) (F = 54,96 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,5 ; ddl = 1 ; p = .001) quelle que soit la classe. Elles paraissent le plus stressées en classe de troisième alors que les garçons connaissent leur niveau de stress maximum en classe de seconde. De plus, le niveau de stress augmente de manière significative avec l’avancée en classe supérieure (F = 6,28 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,5 ; ddl = 5 ; p = .001).
85Pour les différents types de manifestation du stress, les filles évoquent plus souvent des manifestations physiques (m = 20,32 ; E.T. = 6,00) et de la fébrilité (m = 15,74 ; E.T. = 5,58) en troisième. Elles ressentent plus de lassitude à partir de cette classe puis au lycée. Elles manifestent plus d’humeur dépressive, de lassitude et de fébrilité au lycée par rapport aux cinquième et quatrième. Chez les garçons, la classe où toutes les manifestations du stress sont les plus élevées est la seconde. Enfin les lycéens se disent plus stressés que les collégiens.
6.5. L’influence du type de difficulté d’orientation sur le niveau de stress
86De manière plus qualitative, nous tentons d’évaluer désormais l’influence que les difficultés externes, internes, ainsi que chacune des difficultés, ont sur le stress chez les adolescents.
Graphique 3 / Graph 3
Niveau moyen de stress selon le sexe et la classe / Mean level of stress according to sex and class.
Influence de la nature externe des difficultés sur le stress des collégiens et des lycéens
87Comme précédemment, l’analyse de régression linéaire permet de vérifier l’influence des difficultés externes sur le niveau de stress des élèves (B = 3,553 ; R2 = .056 ; F = 103,788 ; p = .001).
88Les difficultés d’orientation externes impliquant un environnement peu favorable ont une influence très significative sur le stress et ces différentes manifestations. Ainsi, le manque d’information, de soutien, d’aide et les autres difficultés amènent donc les adolescents à se sentir stressés. Cela se manifeste par de la lassitude (B = .735 ; R2 = .037 ; F = 67,83 ; p = .001), de la fébrilité et tension (B = .984 ; R2 = .077 ; F = 144,70 ; p = .001), des manifestations physiques de stress (B = .626 ; R2 = .016 ; F = 28,02 ; p = .001). Ces difficultés provenant de l’environnement de l’adolescent favorisent aussi l’apparition ou l’accentuation de l’humeur dépressive (B = 1,208 ; R2 = .054 ; F = 99,45 ; p = .001) comme manifestation du stress perçu.
Influence de la nature interne des difficultés sur le stress des collégiens et des lycéens
89De même, une nouvelle analyse de régression linéaire nous permet de vérifier l’influence supposée des difficultés internes sur le stress.
90Les difficultés d’orientation internes impliquant une motivation bloquée par le doute de soi, le manque de compétence, de moyens, la pression ressentie, ont une influence très significative sur le stress (B = 6,549 ; R2 = .124 ; F = 247,05 ; p = .001), mais aussi sur les différentes manifestations de celui-ci (p = .001 pour les quatre dimensions du stress).
91Les adolescents manifestant des difficultés, internes ou externes, d’orientation, sont donc plus stressés, et l’expriment.
Influence de la nature des difficultés sur le stress des collégiens et des lycéens
92Mais quelles difficultés en particulier influencent le stress en général ? Une analyse de variance (comprenant les 11 situations difficiles) nous permet de vérifier quelles sont celles qui influencent le niveau global de stress chez les adolescents scolarisés.
93Douter de soi (difficulté 2 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,50 ; ddl = 1 ; F = 147,31 ; p = .001) amène les adolescents à avoir un niveau de stress élevé (score moyen de 68,65), par rapport à ceux qui n’ont pas cette difficulté (57,13 en moyenne). Le sentiment de ne pas avoir les compétences suffisantes (difficulté 8 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,50 ; ddl = 1 ; F = 106,19 ; p = .001) est aussi très stressant (66,43 en moyenne) par rapport à ceux qui doutent moins de leurs compétences (score moyen de 56,98).
94Par ailleurs, une forte pression de l’entourage pour choisir un métier (difficulté 5 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,50 ; ddl = 1 ; F = 38,54 ; p = .001) est source de stress chez l’adolescent (m = 69,16) par rapport à ceux qui ne ressentent pas cette pression (m = 59,98). Il en est de même lorsque l’aide et le soutien sont perçus insuffisants (difficulté 6 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,50 ; ddl = 1 ; F = 84,48 ; p = .001) (m = 65,13 par rapport aux autres : 56,75). Les parents et l’entourage doivent trouver la bonne distance avec leur adolescent, ne pas les laisser seuls face à ce choix difficile, mais ne pas les contraindre non plus. D’autant que le manque de débouchés (difficulté 7 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,50 ; ddl = 1 ; F = 41,86 ; p = .001 ; moyenne de stress = 64,71 par rapport à ceux pour qui ce n’est pas une difficulté : 58,60) et les difficultés matérielles (difficulté 9 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,50 ; ddl = 1 ; F = 55,37 ; p = .001 ; moyenne de stress = 67,33 par rapport à ceux qui ne ressentent pas cette difficulté : 59,14), les stressent aussi.
95Mais, au-delà de ces problèmes, d’autres difficultés rencontrées par les adolescents (difficulté 11 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,50 ; ddl = 1 ; F = 56,06 ; p = .001) provoquent plus de stress (m = 68,72) par rapport à ceux qui n’ont pas ces difficultés (m = 59,45). Celles-ci peuvent être affectives, médicales, etc. et les freiner ou les gêner dans leur orientation. Cela nous montre que l’orientation est inscrite dans un milieu socio-économique dont on doit tenir compte, avec une problématique et des demandes particulières propres au milieu ou à la famille, mais que par-dessus tout elle dépend du parcours personnel de l’élève.
96Les difficultés à élaborer un projet (difficulté 1 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,50 ; ddl = 1 ; F = 36,90 ; p = .001) ont une influence moins forte que les autres, mais significative, sur le niveau de stress des adolescents (m = 63,44 vs m = 57,79). Il en est de même pour le manque d’information (difficulté 3 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,50 ; ddl = 1 ; F = 13,51 ; p = .001) ; (m = 62,65 vs m = 59,23).
97Prises séparément, nous percevons ici que deux difficultés n’ont pas d’influence significative sur le stress en général : l’excès d’informations (difficulté 4 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,50 ; ddl = 1 ; F = 3,86 ; p = .050) (m = 64,13 vs m = 60,71) et le choix entre plusieurs métiers (difficulté 10 ; m = 60,98 ; E.T. = 19,50 ; ddl = 1 ; F = 2,74 ; p = .098).
7. Discussion et conclusion
98L’objectif du présent travail était de vérifier l’existence de liens entre les difficultés d’orientation (selon leur nombre et leur nature, interne ou externe) et le niveau ou les dimensions du stress, chez 2 042 collégiens et lycéens de la cinquième à la terminale (12 à 20 ans) garçons et filles.
99Le fait que 85,6 % des élèves déclarent avoir été concernés par au moins une des onze difficultés proposées est déjà un résultat révélateur confirmant celui obtenu par Rodriguez-Tomé et Bariaud (1990) ; mais il fallait bien sûr vérifier le lien entre le nombre et la nature de ces difficultés et le niveau global de stress. Il s’agissait aussi de vérifier la variation du lien selon le sexe ou selon la classe.
100Les résultats présentés permettent de constater les faits suivants :
1. Le stress global est d’autant plus fort que le nombre de difficultés évoquées est élevé. Ce lien est également significatif pour les différentes dimensions du stress (tension-fébrilité, humeur dépressive, lassitude et manifestations physiques).
2. Toutefois, trois difficultés sont plus nettement corrélées avec le stress : le doute sur soi (difficulté 2), la conviction d’avoir des compétences insuffisantes (difficulté 8) et d’une insuffisance d’aide et de soutien (difficulté 6). Deux de ces difficultés sont de nature interne (auto-dévaluation), la troisième introduit une difficulté externe certes, mais impliquant l’insuffisance de proximité relationnelle. Les variables plus formelles concernant les métiers, l’information ou les pressions matérielles sont moins liées au niveau ou à la nature du stress des élèves.
3. L’analyse de régression permet enfin de constater que les difficultés externes d’orientation sont plus fortement liées à la fébrilité et à la tension, tandis que les difficultés internes sont plus nettement corrélées avec l’humeur dépressive (B = 2,31 ; R2 = .128 ; F = 256,47 ; p = .001).
4. La comparaison des réponses des filles et des garçons aboutit aux constats suivants : les filles sont plus nombreuses à évoquer au moins une difficulté (88,3 % contre 82,5 %), les garçons proposant des difficultés extrascolaires plus souvent que les filles. La seule plus souvent choisie par les garçons, « le trop plein d’information », implique sans doute une attitude critique à l’égard de l’institution scolaire (cf. tableaux 2 et 3). Par ailleurs, les filles sont plus stressées que les garçons (cf. graphique 2) globalement et pour chacune des composantes du stress ici envisagées. La corrélation entre difficultés et stress n’est significative chez les garçons que pour les deux difficultés internes du sentiment de doute (difficulté 2) et de compétences insuffisantes (difficulté 8). Les mêmes difficultés sont plus fortement liées encore au stress chez les filles mais les corrélations élevées se retrouvent également pour les difficultés d’élaboration de projet (difficulté 1), d’aide insuffisante (difficulté 6) et de difficultés matérielles (difficulté 9).
5. Les classes jouent également un rôle dans l’expression par les jeunes de leurs difficultés d’adaptation. Quatre difficultés sont ressenties différemment selon les classes. La difficulté interne liée au doute sur soi est à son maximum en quatrième, puis régresse progressivement jusqu’en terminale. Inversement la difficulté à élaborer un projet progresse, atteint son maximum en première, puis chute en terminale. Si l’on prend en compte le nombre global de difficultés choisies, il faut cependant noter que ce sont les élèves de collège qui en choisissent le plus (dans l’ordre les quatrième puis les troisième et enfin les cinquième) et les élèves des lycées qui en choisissent le moins (première, terminale puis seconde).
101Ces résultats laissent apparaître une contradiction riche de sens quant à la gestion du stress engendré par les problèmes d’orientation scolaire et professionnelle chez les adolescents. En effet, le lien constaté entre les difficultés d’orientation et le niveau de stress cache des différences sensibles, en particulier entre les classes. Le stress semble augmenter de la cinquième à la terminale alors que le nombre de difficultés et principalement les difficultés internes tendent à diminuer. Il apparaît donc que les élèves les plus âgés adoptent des points de vues externes tout en manifestant un fort niveau de stress. D’après Mallet « l’inconnu, sans doute, est source d’inquiétude, mais la connaissance d’une réalité qui comporte de réels dangers peut aussi constituer une telle source » (2002, p. 611). Le fait qu’ils n’expriment ni un doute de soi, ni une incertitude quant à leurs compétences pourrait montrer un aspect défensif utile à leur adaptation.
102L’analyse des corrélations de chacune des difficultés avec le niveau de stress témoigne du lien privilégié existant entre les difficultés internes et le niveau de stress de manière générale, quels que soient la classe et le sexe des élèves.
103L’aspect interne révélé par les difficultés liées au doute de soi (difficulté 2) et à l’insuffisance de compétences (difficulté 8) est celui qui domine pour expliquer le niveau de stress perçu. Ce stress n’est donc pas lié à toutes les difficultés, il l’est en particulier avec le doute de soi. Selon Mirels, Greblo et Dean (2002), les individus doutant de leurs habiletés à produire des jugements ou des décisions adéquates attendent souvent les autres pour se décider. Dans le cas de décisions importantes, comme peut l’être le choix d’orientation scolaire et professionnelle, les sujets enclins au doute sur eux-mêmes ont tendance à hésiter entre plusieurs possibilités souvent incompatibles et ils trouvent les prises de décisions coûteuses. Leur approche de la décision à prendre est soumise à leur incertitude et s’associe généralement à un niveau faible d’estime de soi (Oleson, Poelhmann, Yost, Lynch & Arkin, 2000) et à de l’anxiété chronique (Mirels etal., 2002).
104Les élèves les plus âgés sont ceux qui externalisent le plus l’origine de leurs difficultés alors qu’ils s’estiment les plus stressés. Concernant l’équilibre interne-externe qui évolue au cours de la scolarité, il est plausible que les élèves les plus âgés, ayant donc surmonté davantage d’obstacles, voient moins de difficultés liées à leurs caractéristiques personnelles. Leur tendance à refuser qu’ils soient dans le doute serait un mécanisme défensif non efficace. En effet, l’impression de ne plus maîtriser les difficultés puisqu’elles proviennent de l’extérieur augmente en fait le niveau de stress. Le développement d’un locus de contrôle externe menant aux stratégies de refus (fondées sur la négation de la réalité du problème, sur l’alexithymie ou sur le fait de faire quelque chose de plus agréable) s’affirme donc comme une stratégie dysfonctionnelle dans la gestion du stress lié à l’orientation scolaire et/ou professionnelle des lycéens français.
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Annexe
Annexe 1
Réponse « oui »
|
Réponse « non »
| |||
Facteur 1
|
Facteur 2
|
Facteur 1
|
Facteur 2
| |
Diff. no 1 : difficultés à élaborer un projet
|
.48
|
.25
|
.61
|
.32
|
Diff. no 2 : doute sur soi
|
.73
|
.61
|
.36
|
.31
|
Diff. no 3 : manque d’informations
|
.50
|
.58
|
.52
|
.61
|
Diff. no 4 : trop d’informations
|
.12
|
551,57
|
.01
|
.13
|
Diff. no 5 : pression de l’entourage
|
.81
|
.58
|
.10
|
.07
|
Diff. no 6 : insuffisance d’aide, de soutien
|
.43
|
.36
|
.44
|
.37
|
Diff. no 7 : manque de débouchés
|
.51
|
.12
|
.32
|
.08
|
Diff. no 8 : compétences insuffisantes
|
.63
|
.41
|
.47
|
.30
|
Diff. no 9 : difficultés matérielles
|
.78
|
.73
|
.23
|
.21
|
Diff. no 10 : choix entre plusieurs métiers
|
.29
|
.25
|
.26
|
.22
|
Diff. no 11 : autres difficultés
|
.41
|
.20
|
.08
|
.04
|
Contributions (valeurs affectées aux items) sur les facteurs de l’analyse factorielle / Contributions (values assign to items) on factorial analysis factors.
Notes
1 La présentation de la validation statistique de l’E.T.S. fera l’objet d’une prochaine publication.
Table des illustrations
Titre | Graphique 1 / Graph 1 |
---|---|
Légende | Champ factoriel 1 × 2 (A.F.C.M.) concernant le questionnaire des difficultés d’orientation / Factorial plan 1 × 2 (A.F.C.M.) about the difficulties’advice questionnaire. |
URL | http://osp.revues.org/docannexe/image/617/img-1.png |
Fichier | image/png, 101k |
Titre | Graphique 2 / Graph 2 |
Légende | Nombre moyen de difficultés internes et externes selon le sexe et la classe / Mean number of internals and externals difficulties according to sex and class. |
URL | http://osp.revues.org/docannexe/image/617/img-2.png |
Fichier | image/png, 101k |
Titre | Graphique 3 / Graph 3 |
Légende | Niveau moyen de stress selon le sexe et la classe / Mean level of stress according to sex and class. |
URL | http://osp.revues.org/docannexe/image/617/img-3.png |
Fichier | image/png, 584k |
Pour citer cet article
Référence papier
L’orientation scolaire et professionnelle 2005, 34, no 3, 295-322
Référence électronique
Serge Lacoste, Sylvie Esparbès-Pistre et Pierre Tap, « L’orientation scolaire et professionnelle comme source de stress chez les collégiens et les lycéens »,L'orientation scolaire et professionnelle [En ligne], 34/3 | 2005, mis en ligne le 28 septembre 2009, consulté le 07 janvier 2014. URL : http://osp.revues.org/617 ; DOI : 10.4000/osp.617
Auteurs
Serge Lacoste
Serge Lacoste est Docteur en psychologie, Psychologue, Chargé d’Enseignement à l’U.F.R. S.T.A.P.S. de Toulouse III – Laboratoire S.O.I (EA3690). Ses recherches en psychologie sociale du développement de la santé et du sport s’intéressent à la gestion du stress, au bien-être et à la préparation mentale des sportifs.
Sylvie Esparbès-Pistre
Sylvie Esparbès-Pistre est Maître de Conférences en psychologie à l’Université de Toulouse II. Ses recherches portent sur l’adaptation des adolescents (stratégies de personnalisation mises en place : de coping, identitaires, de projets, de positionnement social) vivant des situations difficiles ou stressantes. Elle s’intéresse aussi à la résilience (scolaire et dans le cadre de la maladie) et aux échecs paradoxaux chez les adolescents.
Pierre Tap
Pierre Tap est Professeur émérite (Université de Toulouse II) ; Coordonnateur de recherche, Institut Piaget et Centre Européen d’Investigation sur les Conduites et les Institutions C.E.C.I. à Coimbra (Portugal). Membre du Gerpa (Paris V). Centre d’intérêts : identités précarité, intégration et exclusion sociales ; dynamiques identitaires, pratiques sociales et valeurs ; construction de l’identité personnelle et évolution des rôles de genres ; représentation du vieillissement et qualité de vie.
source : http://osp.revues.org
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